Ce qui ne ressemble à rien n’existe pas.
En art (peinture, sculpture, film…), l’allégorie est une œuvre dont chaque élément évoque un aspect d'une idée complexe. Par son signifié et signifiant, le livre véhicule une idée et se prête ainsi parfaitement à ce mode d’expression. Aussi, ai-je mis en scène des livres dans 34 plans séquences d’une durée maximale d’une minute.
Le choix des livres, les endroits dans lesquels je les ai filmés, sont spontanés ou plus réfléchis, selon. La mise en scène peut être une mise en abyme, une redondance lorsqu’elle insiste par exemple sur un titre ou le nom d’un auteur, etc. Toutes les figures de style sont une invitation à imaginer son propre récit.
Ces vidéos ont été exposées lors du 34e festival Les Instants Vidéo à Marseille en novembre 2021.
Marc Mercier, le fondateur de ce festival, écrit, dans la revue 24 Images Nº201, le texte Itinérrances vidéographiques : Le temps à l’œuvre qui débute comme suit :
Gaëlle Callac a réalisé une série de trente-quatre courtes vidéos rassemblées sous le titre Allégories (2021). Elle donne la définition de ce mode d’expression qui consiste « à représenter une idée abstraite, une notion morale par une image ou un récit où, souvent (mais non obligatoirement), les éléments représentants correspondent trait pour trait aux éléments de l’idée représentée », et ainsi le tour semble joué. Le protocole est simple : un seul plan séquence d’une durée d’une minute tourné avec un iPhone 6 qui se termine toujours par la découverte d’un livre. Le titre, le nom de l’auteur ou de la maison d’édition évoquent, l’un ou l’autre ou tous ensemble, une idée ou une notion qui ne sera pas étrangère au chemin parcouru pour l’atteindre. Chaque spectateur établit librement les liens entre les éléments qui sont apparus lors du cheminement et le livre. Tout l’intérêt du film est que le parcours ne se passe pas exactement comme cela.
D’emblée, en préambule (Allégorie #0), nul chemin, une grille de basse-cour avec deux poules. Sous le regard effaré d’une poule rousse, une poule blanche donne un coup de bec à un livre de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Actes Sud). Fallait oser, ouvrir par l’image d’un enclos. Nous pouvons y lire aussi notre propre condition humaine, la lecture et l’imagination peuvent être les clés d’une émancipation. Quand tout semble trop étroit, il faut prendre le large. De n’avoir pas pris la fuite à temps, Dagerman s’est donné la mort après avoir écrit ce livre en 1954.
Un chemin de sous-bois, quelques herbes et pétales, quelques entraves (des troncs d’arbre), des ombres et des lumières et, soudain, posé sur une caisse en bois, L’amour fou de André Breton (Gallimard). Le grand large, le grand frisson, quoi ! Quand débute l’Allégorie #2, notre rapport à l’œuvre va changer, le temps entre en jeu. Un chemin courbe, un banc vide, un rocher sur lequel repose Quelqu’un de Robert Pinget (Éditions de Minuit). Nous sommes désormais en attente, nous pouvons même jouer au jeu des devinettes, quel livre va surgir ? Ou nous faire monteur en reliant ce quelqu’un sans queue ni tête avec cet amour fou dont la place est vacante. Alors, on s’impatiente à l’idée de la suite de notre pérégrination, chemin d’herbe qui mène à une inattendue baignoire en rase campagne, on s’y penche : une fleur et un livre de Bertrand Belin, bien évidemment aquatiquement intitulé Requin (P.O.L). L’amour fou n’est pas sans danger, c’est pour cela que tant d’individus s’y refusent. Bondissons jusqu’à l’Allégorie #34, une fin en fanfare sous un ciel de blancs nuages, sur une marche de l’estrade où l’orchestre vient d’arrêter de jouer, du théâtre (Ton nom dans le feu des nuées, Élisabeth de Jean Vauthier, Gallimard), rideau donc, tout peut (re)commencer autrement. Peut-être que les poules ont depuis percé leur geôle. Peut-être que quelqu’un est assis sur le banc et qu’un amour fou va surgir. Lire, c’est livrer bataille. Je ne sais pas si bien dire.
Paul Valéry
Mauvaises pensées & autres
Mauvaises pensées & autres
En art (peinture, sculpture, film…), l’allégorie est une œuvre dont chaque élément évoque un aspect d'une idée complexe. Par son signifié et signifiant, le livre véhicule une idée et se prête ainsi parfaitement à ce mode d’expression. Aussi, ai-je mis en scène des livres dans 34 plans séquences d’une durée maximale d’une minute.
Le choix des livres, les endroits dans lesquels je les ai filmés, sont spontanés ou plus réfléchis, selon. La mise en scène peut être une mise en abyme, une redondance lorsqu’elle insiste par exemple sur un titre ou le nom d’un auteur, etc. Toutes les figures de style sont une invitation à imaginer son propre récit.
Ces vidéos ont été exposées lors du 34e festival Les Instants Vidéo à Marseille en novembre 2021.
Marc Mercier, le fondateur de ce festival, écrit, dans la revue 24 Images Nº201, le texte Itinérrances vidéographiques : Le temps à l’œuvre qui débute comme suit :
Gaëlle Callac a réalisé une série de trente-quatre courtes vidéos rassemblées sous le titre Allégories (2021). Elle donne la définition de ce mode d’expression qui consiste « à représenter une idée abstraite, une notion morale par une image ou un récit où, souvent (mais non obligatoirement), les éléments représentants correspondent trait pour trait aux éléments de l’idée représentée », et ainsi le tour semble joué. Le protocole est simple : un seul plan séquence d’une durée d’une minute tourné avec un iPhone 6 qui se termine toujours par la découverte d’un livre. Le titre, le nom de l’auteur ou de la maison d’édition évoquent, l’un ou l’autre ou tous ensemble, une idée ou une notion qui ne sera pas étrangère au chemin parcouru pour l’atteindre. Chaque spectateur établit librement les liens entre les éléments qui sont apparus lors du cheminement et le livre. Tout l’intérêt du film est que le parcours ne se passe pas exactement comme cela.
D’emblée, en préambule (Allégorie #0), nul chemin, une grille de basse-cour avec deux poules. Sous le regard effaré d’une poule rousse, une poule blanche donne un coup de bec à un livre de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Actes Sud). Fallait oser, ouvrir par l’image d’un enclos. Nous pouvons y lire aussi notre propre condition humaine, la lecture et l’imagination peuvent être les clés d’une émancipation. Quand tout semble trop étroit, il faut prendre le large. De n’avoir pas pris la fuite à temps, Dagerman s’est donné la mort après avoir écrit ce livre en 1954.
Un chemin de sous-bois, quelques herbes et pétales, quelques entraves (des troncs d’arbre), des ombres et des lumières et, soudain, posé sur une caisse en bois, L’amour fou de André Breton (Gallimard). Le grand large, le grand frisson, quoi ! Quand débute l’Allégorie #2, notre rapport à l’œuvre va changer, le temps entre en jeu. Un chemin courbe, un banc vide, un rocher sur lequel repose Quelqu’un de Robert Pinget (Éditions de Minuit). Nous sommes désormais en attente, nous pouvons même jouer au jeu des devinettes, quel livre va surgir ? Ou nous faire monteur en reliant ce quelqu’un sans queue ni tête avec cet amour fou dont la place est vacante. Alors, on s’impatiente à l’idée de la suite de notre pérégrination, chemin d’herbe qui mène à une inattendue baignoire en rase campagne, on s’y penche : une fleur et un livre de Bertrand Belin, bien évidemment aquatiquement intitulé Requin (P.O.L). L’amour fou n’est pas sans danger, c’est pour cela que tant d’individus s’y refusent. Bondissons jusqu’à l’Allégorie #34, une fin en fanfare sous un ciel de blancs nuages, sur une marche de l’estrade où l’orchestre vient d’arrêter de jouer, du théâtre (Ton nom dans le feu des nuées, Élisabeth de Jean Vauthier, Gallimard), rideau donc, tout peut (re)commencer autrement. Peut-être que les poules ont depuis percé leur geôle. Peut-être que quelqu’un est assis sur le banc et qu’un amour fou va surgir. Lire, c’est livrer bataille. Je ne sais pas si bien dire.
Allégories
34 vidéos d’une minuteFilmé avec un iPhone 6
Gaëlle Callac
Allégories, 2021
© ADAGP, Paris, 2021